La France, pièce reine de l’échiquier international ?



Publié par La Rédaction le 13 Décembre 2021

La France est-elle toujours un leader mondial ? Roland Lombardi, docteur en Histoire contemporaine et auteur de « Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? Chroniques géopolitiques », nous dépeint l’actuelle situation de la France, entre nostalgie et insuffisance.



Vous parlez régulièrement de la France dans votre ouvrage, est-ce proportionnel à l’importance de la France dans la géopolitique actuelle ?

Au contraire, on assiste à un recul de plus en plus net de la place géopolitique de la France. Mais ce n’est pas nouveau, cela a commencé il y a déjà plusieurs décennies. Comme je l’explique, à regret, dans mon ouvrage, il n’y a qu’à voir le fait qu’aujourd’hui, la France est totalement hors-jeu dans tous les dossiers importants de la Méditerranée et du Moyen-Orient (Syrie, Libye, conflit israélo-palestinien et même au Liban) qui sont pourtant nos frontières les plus importantes.

Dans le monde d’aujourd’hui, l’influence, que cela nous plaise ou non, est fonction de la puissance économique et commerciale. Et nous sommes à cet égard bien à la traine, loin derrière l’Allemagne par exemple.

Notre rayonnement, qui est l’aura de notre passé glorieux, la méthode Coué ou le fait de claironner que nous sommes la quatrième puissance mondiale (passée récemment à la 6e place !) ne suffisent pas à être véritablement influent. En Europe, par exemple, c’est à Berlin que tout se décide !

Du coup, on navigue à vue, un peu au jour le jour, car on a besoin d’argent et il faut vendre. Quand votre croissance est négative ou peine à atteindre les 1 % et que vous êtes toujours plus endetté, vous êtes forcé de faire beaucoup de concessions et de compromissions. D’où par exemple notre diplomatie au Moyen-Orient essentiellement basée sur le commerce et qui nous a conduit à de nombreuses erreurs jusqu’à aujourd’hui. Ceci pour faire plaisir à nos riches clients du Golfe dont les intérêts étaient loin d’être les mêmes que les nôtres, notamment géostratégiques et sécuritaires.

Si vous ajoutez à cette diplomatie strictement commerciale, nos leçons de morale, notre « droit d’ingérence », notre « droit-de-l’hommisme » le plus prosélyte, hypocrite et à géométrie variable, ainsi que l’idéologie de certains de nos « savants » et soi-disant « experts », vous avez le cocktail qui fait toute la vacuité de l’« irrealpolitik » (Védrine) actuelle de notre politique étrangère !

Vous dénoncez la faiblesse du gouvernement français, pour une meilleure efficacité et une plus ample sécurité, à quel point devrait-il se renforcer ?

Dans mon livre, je rappelle plusieurs fois la phrase de Mao : « Le poisson pourrit toujours par la tête ».

C’est le problème de la France, peut-être son principal danger avant même l’islamisme : une classe dirigeante et politicienne de plus en plus déconnectée et paralysée par la peur. Shakespeare l’avait écrit : la prospérité et la paix produisent des couards. Lorsque vous avez des responsables politiques qui passent du banc de leurs grandes écoles à un fauteuil de bureau, sans s’être jamais battu, ni ayant pris qu’une simple gifle de toute leur vie, il ne faut pas s’étonner du cruel manque de courage de cette caste. Jamais ils ne prendront des décisions politiques courageuses sauf à être forts avec les faibles et faibles avec les forts tel qu’on le voit en matière de sécurité intérieure ou encore avec les lois liberticides et ubuesques de la gestion calamiteuse de la crise sanitaire, comme je l’évoque dans le livre.

Le courage est une vertu cardinale, dans la vie comme en relations internationales. Et il en faut une certaine dose pour réindustrialiser le pays et surtout, s’émanciper des lourdeurs et des pesanteurs du Quai d’Orsay par exemple ou encore, comme l’a déclaré Macron lui-même, d’un certain « État profond ». Comme de l’Atlantisme voire d’un suivisme des États-Unis (contre la Russie par exemple) qui façonne notre politique depuis des années ou des « puissances de l’argent » (nationales, américaines, chinoises ou autres) et des idéologies progressistes qui imposent leurs diktats.

Pour la France, le retour à une véritable indépendance et souveraineté industrielle et nationale doit dépasser le cadre du simple slogan électoral pour s’imposer urgemment dans les actes. Avant qu’il ne soit trop tard…

Mais qu’attendre d’un personnel politique soumis à tant de lobbies atlantiques et européens ? Lui qui n’a pas hésité à vendre Alstom à GeneralElectric, fait équiper aujourd’hui les ordinateurs du ministère de la Défense sous système Windows, nos systèmes d’armes avec des composants made in USA, ou confie encore notre Cloud « souverain » à des logiciels américains que les hébergeurs français devront installer…

De toute évidence et malheureusement, pas grand-chose.

La place de la France sur l’échiquier international est-elle définie par son soft power ?

Le concept de soft power a été forgé en 1990 par l’américain Joseph Nye, professeur à la Kennedy School of Government de l’université Harvard (Massachusetts), ancien sous-secrétaire d’État à la sécurité nationale de l’administration Carter et ancien secrétaire adjoint à la Défense sous Clinton (1994-1995). Pouvoir « doux », pouvoir « mou », pouvoir d’influence, voire simple « rayonnement » ? Cette notion de soft power n’en reste pas moins floue. Pour l’Américain, il ne s’agit pas d’abandonner le hard power au profit d’une gentille politique d’influence comme le rêve les Européens par exemple. En aucun cas le soft power serait être un substitut à la puissance. Nye évoquera d’ailleurs plus tard le smart power qui combine les deux.

Quoi qu’il en soit, le soft power dépend de multiples facteurs, culturels, psychologiques et d’image.

En ce qui concerne la France et son image justement, le problème c’est qu’aujourd’hui notre pays est perçu, notamment dans le monde arabe qui m’est cher, comme une petite puissance hautaine et moralisatrice, mais qui dans les faits, n’est qu’une marchande de canons (4e exportateur d’armes dans le monde), prisonnière de ses riches clients du Golfe. Par ailleurs, le soft power des démocraties perd inexorablement de sa force dans le monde actuel…

Or malgré cette image actuelle plutôt négative, la France est toujours attendue à la condition de redevenir la nation de l’insolence et de la liberté. Elle a sa carte à jouer face au soft power américain qui, quoi qu’on en pense, est toujours efficient et face à une Chine, de plus en plus puissante, qui impressionne, mais qui peine à séduire. Notamment grâce à la francophonie qu’il faudrait revaloriser et redynamiser.

Le titre de mon ouvrage fait référence au célèbre livre La fin de l’histoire de Francis Fukuyama, le penseur américain qui annonçait au début des années 1990, après la chute de l’URSS, l’avènement de la démocratie dans le monde, une économie de marché et une mondialisation heureuse. Les évènements des décennies 2000 et 2010 sont venus contredire son analyse. Aujourd’hui, nous assistons au retour du fanatisme religieux, aux nationalismes, des Empires et des tensions internationales. Si les dirigeants européens veulent encore croire que le monde est « fukuyamesque » et dépendre de la protection américaine, les dirigeants français doivent cesser de courir après une souveraineté européenne totalement illusoire. Si les Européens veulent rester des « herbivores » dans un monde de « carnassiers », c’est leur problème !

Avant qu’il ne soit trop tard et pour de nouveau compter dans le concert des nations, la France doit redéfinir une politique étrangère claire et réaliste, en s’appuyant sur ses atouts de la puissance et de son indépendance que sont d’abord notre zone économique exclusive de 11 millions de kilomètres carrés – la deuxième du monde –, notre industrie de l’armement (3e ou 4e rang selon les années), notre armée et nos forces spéciales qui sont parmi les meilleures du monde, notre puissance nucléaire militaire comme civile et enfin, notre place au Conseil de Sécurité de l’ONU.  

En quoi la géopolitique « à la française » se distingue-t-elle des autres formes de géopolitique ?

Comme je l’ai dit plus haut, le mot qui définit le mieux notre géopolitique actuelle est « irrealpolitik ».

Or pour finir cet entretien sur une touche positive, on peut évoquer la belle moisson commerciale française (qui coïncide pour une fois avec nos intérêts stratégiques) lors du récent déplacement du Président français dans le Golfe.

C’est une formidable aubaine, en termes de retombées, pour l’industrie française et les centaines de milliers d’emplois qui y sont liés. Et indéniablement, c’est un succès politique et international pour Emmanuel Macron.

À l’inverse de ses prédécesseurs François Hollande, Nicolas Sarkozy et même Jacques Chirac, le président Macron, plus pragmatique, profitant du relatif désengagement américain de la zone et cornaqué par son ministre des Affaires étrangères, le réaliste Jean-Yves Le Drian – le meilleur VRP de l’industrie d’armement française depuis ces dernières années –, a su maintenir, en dépit des erreurs du passé et des pressions diverses, de bonnes relations assez équilibrées avec les dirigeants des trois États clés dans le Golfe que sont les EAU, l’Arabie saoudite, et leur rival, le Qatar.

Après une période de quatre ans et demi de flottement et d’adaptation, le Président français a su enfin faire passer progressivement en priorité les intérêts de la France – certes encore et d’abord économiques – avant les « valeurs » ou les intérêts de certains lobbies pro-Qatar et encore très influents à Paris.

Il semble avoir compris l’évolution politique, sociétale et économique dans ces pays, et au-delà dans la région, tout en comprenant les attentes et l’état d’esprit d’une nouvelle génération de dirigeants comme MBZ ou MBS. Considérant, à juste titre, que le bloc composé de l’Arabie saoudite (de MBS qui n’est plus celle d’avant 2015), des EAU et de l’Égypte de Sissi (qui est aussi un grand partenaire commercial et stratégique), en passe par ailleurs de prendre le dessus sur ses rivaux turcs et qataris, étaient un rempart face au terrorisme et à l’islam politique sous toutes ses formes, qui sont les principales menaces sur notre propre sol, la France s’est de plus en plus tournée vers Abou Dhabi. D’autant que les EAU, sorte de nouvelle République de Venise du Moyen-Orient, modèle pour MBS, fer de lance contre les Frères musulmans et nouvel allié d’Israël, est assurément le partenaire le plus important et le plus sincère pour Paris.

Avec le Qatar, le président français n’est plus dupe. Il a compris aussi que « nos chers amis du Qatar » jouaient souvent contre nous et de manière sournoise sur de nombreux dossiers (Syrie, Libye, Méditerranée orientale…).

Lors de sa rencontre avec l’émir Al-Thani, Emmanuel Macron a salué le rôle joué par le Qatar dans l’évacuation de 258 Afghans menacés par les Talibans. Il a aussi abordé les questions de la lutte contre le terrorisme et du financement du culte musulman en France, insistant sur « la nécessité de protéger la pratique religieuse de toute forme d’instrumentalisation ».

C’est un début, une prise de conscience certes timide, mais nous sommes encore loin du conditionnement de nos bonnes relations avec Doha par l’arrêt total du soutien financier de l’émirat aux Frères musulmans, principaux vecteurs du « jihadisme d’atmosphère » (Gilles Kepel) dans nos sociétés, et encore présents sur le territoire français alors qu’ils devraient être interdits et inscrits, comme en Autriche et dans de nombreux autres pays, sur notre liste des organisations terroristes…

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